Variées thèses

Nous autres, thésards, nous savons maintenant que nos travaux sont mortels.

Nous avions entendu parler d'ouvrages disparus tout entiers, de volumes coulés à pic avec tous leurs chapitres et leurs index; descendus au fond inexplorables des siècles avec leurs données et leurs notes, leurs prix académiquees et leurs médailles des sciences pures et appliquées, avec leurs grammaires, leurs dictionnaires, leurs références classiques, romantiques ou symbolistes, leurs critiques et les critiques de leurs critiques. Nous savions bien que toute thèse est faite de cendres et que la cendre signifie quelque chose. Nous apercevions à travers l'épaisseur de l'Histoire, les fantômes d'immenses travaux qui furent chargés de richesse et d'esprit. Nous ne pouvions pas les compter. Mais ces ouvrages, après tout, n'étaient pas notre affaire.

Tiroas, Erigones de Ciceron, Achille d' Eschyle, Du Bien d'Aristote étaient de beaux noms vagues, et la ruine totale de ces ouvrages avait aussi peu de signification pour nous que leur existence même. Mais La Méditerranée, Les Lieux de mémoire, Montaillou … seraient aussi de beaux noms. Orsini aussi est un beau nom. Et nous voyons maintenant que l' abîme de l'Histoire est assez grand pour tous. Nous sentons qu'une thèse a la même fragilité qu'une vie. Les circonstances qui enverraient les oeuvres de Jacques Le Goff et celles de Foucault rejoindre les oeuvres de Thucydide ne sont plus du tout inconcevables: elles sont dans les journaux.