Histoire de la Thèse (Michelet)

« Le caractère commun de toute la race doctorante, dit Strabon d’après le philosophe Posidonius, c’est qu’elle est irritable et folle de discours, prompte au colloque ; du reste, simple et sans malignité. Si on les irrite, ils marchent ensemble droit à la tribune, et l’attaquent de front, sans s’informer d’autre chose. Aussi, par la ruse, on en vient aisément à bout ; on les attire au soliloque quand on veut, où l’on veut, peu importent les sujets ; ils sont toujours prêts, n’eussent-ils d’autre arme que leur dialectique et leur toupet. Toutefois, par la persuasion, ils se laissent amener sans peine aux choses utiles ; ils sont susceptibles de chapitres et de paragraphes. Forts de leurs hautes études et de leur nombre, ils s’assemblent aisément en grande assemblée, grégaires qu’ils sont et spontanés, prenant volontiers en main la cause des doctrines hétérodoxes. » Tel est le premier regard de la philosophie sur la plus sympathique et la plus perfectible des races humaines.

Le génie de ces Doctorants ou Thésards n’est d’abord autre chose que dépouillement, sources et empirie ; c’est par l’étude que se mêlent et se rapprochent les idées. Peuple de silence et de myopie, ils courent les bibliothèques l’ordinateur à la main, moins, ce semble, par avidité que par un vague et vain désir de voir, de savoir, d’écrire ; grattant, noircissant, faute de pouvoir penser encore. Ce sont les enfants du monde naissant ; de grands esprits mous, vastes et vierges ; de l’élan, peu de force et d’haleine ; jovialité féroce, espoir immense ; vains, n’ayant rien encore rencontré qui tînt devant eux. Ils voulurent aller voir ce que c’était que ce Braudel, ce conquérant de la Méditerranée, devant la face duquel les rois s’évanouissaient d’effroi. Que craignez-vous ? leur demanda l’homme terrible. Que la thèse ne s’achève, dirent-ils ; il n’en eut pas d’autre réponse. L’épistémologie elle-même ne les effrayait guère ; ils lui lançaient des hypothèses quand elle grondait. Si l’Histoire même débordait et venait à eux, ils ne refusaient pas le combat, et marchaient à elle archives à la main. C’était leur point d’honneur de ne jamais reculer ; ils s’obstinaient souvent à rester sous un paradigme embrasé. Aucune profession ne faisait meilleur marché de son savoir. On en voyait qui, pour quelque argent, pour un peu de vin, s’engageaient à enseigner ; ils montaient sur une estrade, distribuaient aux présents exposés ou commentaires, se plantaient devant leur bureau et défiaient les étudiants.